Par Ghislaine Gendron, Nadia El-Mabrouk et François Dugré
Au moment de la publication de cet article, les athlètes Imane Khelif et Lin Yu-ting avaient remporté l’or olympique en boxe féminine dans leurs catégories de poids respectives et avaient été les porte-drapeaux de leur pays lors de la cérémonie de clôture. Des tests auraient montré que les deux athlètes possédaient des chromosomes XY (mâles).
Difficile d’échapper au tollé médiatique que suscite la participation d’Imane Khelif et de Lin Yu-ting aux compétitions olympiques de boxe féminine à Paris. Propos blessants envers les athlètes d’un côté, accusations de discrimination, de racisme, voire de complots, de l’autre. Comment expliquer ce gâchis? Le Comité International Olympique (CIO) n’en est-il pas le responsable?
Rappelons les faits
Khelif et Yu-ting ont été disqualifiées des Mondiaux de New Delhi en mars 2023 en raison de deux tests reçus par l’association internationale de boxe (IBA). Ces tests auraient établi leur inéligibilité à concourir dans une catégorie féminine en raison de chromosomes masculins XY et de niveaux de testostérone se situant dans la fourchette masculine. Cette disqualification ne fut pas portée en appel par les intéressées.
Imane Khelif à gauche et la Hongroise Anna Luca Hamori à droite
Photo : Peter Cziborra, Reuters
Or, le CIO ayant retiré la reconnaissance de l'IBA pour des raisons de mauvaise gouvernance, cette décision n’a pas été reconduite pour les Jeux Olympiques (JO) de Paris. Le porte-parole du CIO a même spécifié qu’il mettait en doute la légitimité des tests.
Ceci soulève la question suivante : si le CIO doute de la validité des tests réalisés et s'il refuse d’imposer de nouveaux tests, sur quels faits se base-t-il pour affirmer que ces deux athlètes satisfont aux exigences de la catégorie féminine?
Une règlementation floue
Il faut savoir que le CIO a revu en 2021 son règlement, remettant désormais aux fédérations internationales le fardeau de déterminer l'éligibilité olympique à la catégorie féminine. Les fédérations sportives se sont exécutées, avec plus ou moins de cohérence, et au prix de nombreuses controverses.
Dans le cas de la boxe, la fracture entre le CIO et l’IBA a eu pour effet de déléguer cette responsabilité aux fédérations nationales de boxe et à leurs comités nationaux olympiques respectifs, ainsi qu’aux unités de boxe mises en place par le CIO. Or, puisqu'il n'y a pas d'organe de gouvernance unique et que les critères utilisés varient d’un pays à un autre, rien ne permet, ici non plus, d’affirmer que les athlètes en question sont des femmes ou, comme le suggèrent les résultats des tests, des hommes atteints d’une différence de développement sexuel (DDS) liée à la condition de déficit en 5-alpha réductase (5-ARD).
Les responsables du CIO ont déclaré dans un communiqué que « le genre et l'âge des athlètes sont déterminés sur la base de leur passeport. ». Or, la mention sur le passeport ne permet pas de trancher dans ce cas car si les personnes qui présentent la condition 5-ARD sont souvent reconnues filles à la naissance en raison d’organes génitaux externes qui ne sont pas distinctement masculins ou féminins, elles vivent ensuite une puberté masculine qui leur confère les avantages physiologiques masculins, et produit des taux de testostérone dans la fourchette masculine normale.
Cette condition DDS, constatée chez la championne du 800 mètres Caster Semenya, justifie qu’on l’ait contrainte d’abaisser son taux de testostérone afin de pouvoir concourir contre des femmes. En athlétisme féminin, les personnes avec la condition 5-ARD conservent le droit de compétitionner avec les femmes mais sous réserve d'abaisser leur taux de testostérone (à 5 nml/ par litre de sang jusqu’en 2018, puis à 2.5 nml/L). Ces taux maximaux demeurent toutefois bien au-dessus des plages de testostérone produites naturellement par les femmes et ne résolvent pas les nombreux enjeux reliés aux multiples avantages physiologiques acquis à la puberté.
Qu’en est-il des compétitions de boxe des JO de Paris 2024? Aucune restriction sur l’éligibilité de ces personnes n’est mentionnée dans les règlements.
Comment dès lors être insensible au désarroi des boxeuses devant affronter des adversaires qui pourraient avoir bénéficié des mêmes avantages physiologiques apportés par la puberté masculine?
Quelle solution pour des compétitions sécuritaires et sans discrimination?
Il est important de préciser que ni Khelif ni Yu-ting ne sont à blâmer, ni ne devraient subir un tel harcèlement médiatique. En effet, les deux athlètes ont eu l’autorisation du CIO et ne sont coupables, ni de mensonge ni de tricherie. La faute incombe d’abord et avant tout aux responsables du CIO qui n’ont pas su émettre de règles équitables et sécuritaires pour les femmes, qui ne font rien pour dissiper les malentendus, et suscitent ainsi un sentiment d'injustice, des accusations à l'emporte-pièce et la foire d'empoigne qui déshonore ce rendez-vous planétaire.
Boxeuse du Québec, Katia Bissonnette Photo : Maxime Amyot/BSL Boxing Academy
Ce que demandent les boxeuses, comme la québécoise Katia Bissonnette qui songe à abandonner la boxe tant le risque pour sa sécurité lui semble élevé, c'est que le CIO et toutes les fédérations de boxe prennent les mesures qui s’imposent afin d’empêcher qu’elles ne puissent se retrouver face à des adversaires possédant les avantages physiologiques masculins.
Le refus de CIO d’effectuer des tests génétiques pour confirmer le sexe, paradoxalement justifié au nom de l’ouverture à la « différence », consacre en fait une grave injustice dont les femmes sont les seules à subir les conséquences tout en mettant en péril leur sécurité, voire, à terme, la survie même de certaines compétitions proprement féminines.
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